15
Boire un verre avec un nain mal luné

 

 

— Chavais bien qu’j’aurais pas dû vous laisser filer tous les deux tout seuls ! fit une voix pétulante à l’adresse de Drizzt et Catti-Brie quand ils entrèrent au Coutelas, à Luskan.

Bruenor et Régis, assis au bar juste en face d’Arumn Gardpeck, n’avaient pas l’air complètement remis de leur voyage harassant.

— Je ne pensais pas que vous viendriez ici, remarqua Drizzt en s’asseyant à côté d’eux. La saison est bien avancée.

— Plus encore que tu crois, marmonna le halfelin.

Les nouveaux venus se tournèrent vers le nain pour avoir une explication.

— Bah, une chtite tempête, pas d’quoi faire tant d’histoires ! beugla Bruenor.

— Petite, oui, comme un géant des montagnes, maugréa encore Régis, sur quoi Bruenor eut un reniflement dédaigneux.

— Donne donc un coup d’vin à mon ami et à ma fifille ! ordonna-t-il à Arumn Gardpeck qui s’y employait déjà. (Dès que les verres furent servis et que le tenancier, après un hochement de tête à l’adresse des voyageurs, fut reparti, le nain prit un air des plus sérieux.) Alors, où il est l’fiston ?

— Pour autant qu’on sache, à bord de l’Esprit follet de la mer, avec Deudermont, répondit Catti-Brie.

— Ils ne sont pas au mouillage ici, nota Régis.

— Ni à Eauprofonde, mais ils y reviendront peut-être avant l’hiver, indiqua Drizzt. C’est ainsi que procède d’habitude le capitaine Deudermont ; il ravitaille le vaisseau pour la saison froide.

— Ensuite ils devraient mettre à la voile vers le sud, ajouta Catti-Brie, pour ne pas revenir à Eauprofonde avant le printemps prochain.

Bruenor renifla, la bouche pleine de bière. Il en recracha la moitié sur Régis.

— Ben alors qu’est-ce que vous fichez là ? s’étonna-t-il. Si l’fiston doit bientôt revenir à Eauprofonde pour repartir et qu’on va plus l’revoir dans le coin avant une moitié d’année, pourquoi vous l’avez pas attendu ?

— On lui a laissé un mot, assura Drizzt.

— Un mot ? s’écria le nain, ébahi. Quoi comme mot ? « Bonjour » ? « Porte-toi bien » ? « Couvre-toi » ? Mais, fichu crétin d’elfe, je comptais sur toi pour ramener l’fiston !

— C’est compliqué, intervint Catti-Brie. (C’est alors qu’elle remarqua l’approche sournoise d’Arumn Gardpeck et Josi Petitemares, l’oreille tendue, vers leur petit groupe. Mais elle ne dit rien ; elle comprenait que l’histoire les intéressait au plus haut point !) Nous avons trouvé Delly, annonça-t-elle au nain et au halfelin. Avec la petite, Colson.

— Alors, ma Delly, comment elle va ? lança Arumn.

La jeune femme vit que Josi Petitemares, impatient, se mordillait la lèvre. Il devait avoir le béguin pour l’absente.

— Elle va bien, l’enfant aussi, assura Drizzt. Cela dit, à notre arrivée, nous les avons trouvées en grand péril ! (Les quatre auditeurs eurent un regard anxieux à ces mots inquiétants.) Sheila Kree, le pirate – c’est ce qu’on pense. Pour une raison qui nous échappe, elle a pris sur elle d’envoyer un raid à Eauprofonde !

— Elle cherchait l’fiston ? demanda Bruenor.

— Ou bien elle voulait s’venger de Deudermont qui a passé la saison à la traquer, supposa Arumn toujours au fait de ce genre de nouvelles, parce qu’il écoutait avec attention les bavardages des nombreux marins clients de sa taverne.

— Les deux sont possibles… nous sommes revenus pour en apprendre davantage, expliqua Drizzt.

— Est-ce qu’on est seulement sûrs que l’Esprit follet de la mer ne gît pas au fond de l’eau ? glissa Régis.

Mais ses yeux s’écarquillèrent et il se mordit les lèvres dès que ces mots les eurent franchies. À son visage désolé, on voyait qu’il avait compris trop tard le poids terrible que ferait peser cette hypothèse sur les épaules de Bruenor !

La question n’en restait pas moins légitime ; Drizzt et Catti-Brie avaient prévu, bien avant leur arrivée à Luskan, de la poser à Arumn. Ils jetèrent un regard interrogateur au tavernier.

— J’ai rien entendu qui laisse supposer ça, répondit l’homme, mais, si Sheila Kree a eu l’Esprit follet de la mer, il faudra p’t’être des mois avant qu’on l’sache ! Cela dit, j’ai du mal à l’croire. On dit au port qu’personne pourrait vaincre le vaisseau en combat naval.

— Je t’en prie, essaie d’en apprendre davantage, insista Drizzt. (Le tenancier acquiesça et fit signe à Josi que lui aussi devrait faire son enquête.) Moi aussi, je doute beaucoup que Sheila Kree se soit risquée à proximité de l’Esprit follet de la mer, insista Drizzt pour rassurer Bruenor. (Il était d’ailleurs sincère.) Ou, à supposer qu’elle l’ait fait, ce sont certainement les reliquats de sa bande décimée qui ont attaqué la demeure du capitaine Deudermont pour lui faire payer la destruction du navire pirate et la fin de son équipage ! J’ai navigué plus de cinq ans avec Deudermont ; je peux vous assurer que je n’ai jamais vu un seul vaisseau en mesure de défaire le sien.

— … Ou son sorcier Robillard, renchérit Catti-Brie.

Bruenor ne dit rien. De toute évidence très inquiet pour son fils disparu, il se contenta de scruter ses deux amis.

— Alors on va attendre ? demanda-t-il un instant plus tard.

Son ton indiquait sans équivoque que l’idée ne lui plaisait pas.

— Avec l’hiver, l’Esprit follet de la mer ne va plus traquer Sheila Kree, expliqua Drizzt en baissant la voix pour que seuls ses compagnons l’entendent. Le même hiver va probablement confiner le pirate au mouillage. Sheila doit avoir un repaire quelque part !

Cette information parut calmer un peu le nain.

— Dans c’cas, on va la chercher, annonça-t-il d’un ton décidé, et on récupère mon marteau de guerre.

— On peut espérer que Wulfgar se joindra à nous, nota Catti-Brie, pour avoir de nouveau Crocs de l’égide entre les mains. Pour retrouver où est sa place, la place de son arme !

Bruenor leva sa chope en un salut à ces paroles encourageantes, et tous les autres l’imitèrent. Pour autant, chacun savait que l’avenir évoqué par la jeune femme n’adviendrait que dans le meilleur des cas ; tant de choses pouvaient mal tourner !

Les compagnons discutèrent encore et décidèrent de passer quelques jours à explorer les environs immédiats de la ville, y compris les quais. Ils demanderaient à Arumn et Josi – à Morik le Rogue aussi, quand ils l’auraient trouvé – de se renseigner sur l’Esprit follet de la mer et Sheila Kree. L’idée était de laisser à Wulfgar un peu de temps pour les rejoindre, s’il repassait par Eauprofonde et voulait ensuite retrouver ses amis. Il se pouvait aussi que le vaisseau de Deudermont mouille à Luskan en se rendant à Eauprofonde, ce qui, la saison étant déjà avancée, se produirait très bientôt si cela devait se produire.

Le drow ordonna une tournée, et retint ses compagnons avant qu’ils commencent à boire. Lui aussi avait un toast à porter, pour appuyer le précédent.

— Les nouvelles sont meilleures que ce qu’on aurait pu espérer à notre départ de Dix-Cités, rappela-t-il. Tout indique que notre ami est vivant et en bonne compagnie.

— À Wulfgar ! s’écria Régis.

— À Delly Curtie, à Colson, ajouta Catti-Brie avec un sourire adressé directement à Bruenor, puis, avec plus d’insistance, à Drizzt. Une bonne épouse qu’il s’est trouvée, une enfant qui croîtra et embellira sous l’œil vigilant de son papa !

— C’est un maître en la matière qui lui a appris à élever un fils, nota le drow avec un regard significatif à Bruenor.

— … Dommage que ce maître en ait pas su beaucoup sur l’élevage des filles, précisa Catti-Brie.

Elle avait attendu pour lâcher sa pique le moment précis où Bruenor entonnait sa bière. Évidemment, le nain la recracha en plein sur le halfelin.

 

* * *

 

Morik le Rogue eut l’air intrigué mais pas franchement contrarié quand il ouvrit la porte de son modeste logis pour y trouver une femme mince, brune.

— Peut-être t’es-tu trompée d’endroit, suggéra-t-il d’un ton aimable.

Ses yeux noirs observaient la visiteuse avec un intérêt certain. Elle était bien jolie, et son attitude exprimait le sang-froid, sans parler d’une intelligence certaine. Morik appréciait les femmes intelligentes.

— Beaucoup, en effet, considéreraient le logis de Morik le Rogue comme un mauvais endroit, répondit-elle, mais non, c’est bien ici que je voulais être. (Elle eut un petit sourire charmeur, considéra le voleur avec la même attention qu’il lui accordait.) Tu as bien vieilli, estima-t-elle. (Ainsi, cette belle créature avait dû le connaître dans son jeune temps ! Le Rogue, de plus en plus curieux, l’examina mieux pour tâcher de se la rappeler.) Cela t’aiderait-il si je lâchais quelques sorts pour secouer le lit, ou des lueurs multicolores qui danseraient autour de nous pendant que nous ferions l’amour ?

— Bellany ! s’écria Morik. Bellany Tundash ! Mais ça fait combien de temps ?

Il n’avait plus revu la sorcière depuis des années, depuis qu’elle était jeune apprentie à la Tour des Arcanes. Oh, elle ne s’en laissait pas conter alors ! Elle faisait le mur presque toutes les nuits pour s’aventurer dans les bas-fonds de Luskan. Comme tant d’autres jeunes femmes désireuses de sortir des sentiers battus, elle avait inévitablement rencontré Morik le Rogue et l’avait suivi à l’occasion jusque dans son lit.

Des occasions mémorables, se rappela l’homme.

— Pas si longtemps, Morik, remarqua Bellany. Moi qui croyais avoir une place à part dans ton cœur… (Elle eut une petite moue boudeuse qui suffit à rendre tout flageolants les genoux du voleur.) Je pensais que tu me reconnaîtrais tout de suite et me serrerais dans tes bras pour un baiser phénoménal !

— Je vais y remédier sur-le-champ ! s’écria le Rogue.

Il approcha, bras grands ouverts, le visage illuminé d’une plaisante expectative.

 

* * *

 

Catti-Brie et Régis se couchèrent tôt ce soir-là, mais Drizzt préféra rester dans la taverne en compagnie de Bruenor. Il avait l’impression que son ami voulait discuter.

— Quand cette affaire sera terminée, remarqua-t-il, il faudra qu’on aille à Eauprofonde, toi et moi. Je serai ravi d’entendre Colson babiller à propos de son grand-père !

— Elle parle, la p’tite ? demanda le nain.

— Non, pas encore ! répliqua Drizzt dans un rire. Mais ça ne tardera pas… (Le nain hocha simplement la tête. Le sujet ne semblait pas le passionner.) Elle a une bonne mère, ajouta le drow après un silence. Nous connaissons tous deux le caractère de son père ! Colson sera une jeune fille étonnante.

— Colson ! maugréa Bruenor en avalant d’une gorgée la moitié de sa chope. Quel nom absurde.

— Cela vient de l’elfique, avec deux significations qui conviennent très bien. « Col », c’est une négation. La gamine n’est « pas » un garçon, mais une fille. Le mot tout entier, par ailleurs, veut dire « qui vient de la ville sombre ». Ce nom va parfaitement, je trouve, vu ce que nous a dit Delly Curtie des circonstances qui ont amené Wulfgar à se charger de la petite. (Bruenor émit un son dubitatif, termina sa boisson.) Je t’aurais imaginé très content de cette nouvelle, ajouta Drizzt, incertain. Tu sais mieux que personne le bonheur qu’apporte l’adoption d’un enfant perdu qu’on aime comme le sien…

— Bah ! grogna le nain.

— … Et puis je soupçonne Wulfgar de bientôt pouvoir te donner d’autres petits-enfants, issus de sa propre chair, indiqua l’elfe noir en plaçant une autre bière à portée de son ami.

— Des p’tits-enfants ? répéta Bruenor d’un ton dubitatif. (Il se plaça de sorte à faire directement face à Drizzt.) Tu parles comme si Wulfgar était mon fiston.

— Mais il l’est.

— Vraiment ? Tu crois qu’il suffit d’un ou deux ans pour que j’lui en veuille plus de ce qu’il a fait à Catti-Brie ! (Le nain eut un autre reniflement contrarié, leva les mains d’un air indigné, puis se tourna de nouveau vers le bar, penché sur sa chope pleine, et marmonna :) P’t’être ben que je le cherche pour lui donner un bon coup sur le museau pour venger la fifille.

— J’ai vu à quel point tu te faisais du souci pour lui. Que tu le veuilles ou non, tu as bel et bien pardonné à Wulfgar.

» Moi aussi, d’ailleurs ! ajouta très vite Drizzt quand son ami se tourna vers lui, les yeux plissés, menaçants. Et Catti-Brie également. Wulfgar était alors en pleine noirceur, mais tout ce que j’ai appris dernièrement donne à penser qu’il est en train de retrouver la lumière. (Le visage de Bruenor s’adoucit, le grognement suivant se révéla moins péremptoire.) Tu vas adorer Colson et Delly Curtie ! assura le drow dans un rire.

— Colson…, répéta le nain en écoutant cette fois avec soin les syllabes qu’il prononçait. (Il regarda Drizzt, secoua la tête, mais, s’il voulait se montrer encore désapprobateur, il n’atteignait guère son but !) Alors je me retrouve avec une p’tite-fille qu’est pas de moi, une fille du fiston qu’est pas de lui non plus, conclut Bruenor un peu plus tard, après que les deux amis se furent occupés en silence de leurs verres respectifs. Dire qu’aucun d’nous deux a encore compris que le plus drôle, c’est de les faire, les enfants !

— Bruenor compte-t-il un jour s’y mettre, demanda le drow, avoir un petit nain à lui ?

L’interpellé se tourna vers Drizzt, l’œil incrédule, puis réfléchit quelques instants à la question avant de hausser les épaules.

— C’est ben possible, déclara-t-il. (Il retourna à sa bière, l’air plus sérieux, nota Drizzt, et même triste.) Chuis plus si jeune, tu sais, l’elfe. J’ai vu passer les siècles, j’me rappelle un temps quand les parents des parents des parents des parents de Catti-Brie et Wulfgar avaient même pas vu leur premier lever d’soleil. Crois-moi, je me sens vieux, jusque dans les os !

— Après des siècles passés à casser les pierres, rien d’étonnant, répliqua Drizzt, pince-sans-rire.

Mais, à ce moment, le nain n’avait pas le cœur à l’humour.

— Je vois la fifille bien grandie déjà, l’fiston aussi, avec une p’tite à lui maintenant… (Bruenor termina sa phrase dans un grand soupir, puis vida le reste de sa chope avant de se camper face à son ami.) Cette p’tite va vieillir, va mourir, et je serai toujours là avec mes rhumatismes !

Drizzt comprenait très bien. Lui aussi, avec sa longue espérance de vie, connaissait le dilemme du nain. Quand les elfes – drows comme elfes de la surface – ou les nains s’attachent à des individus d’espèces à la longévité moindre, tels les humains, les halfelins ou les gnomes, ils doivent s’attendre à voir ces êtres chers vieillir et mourir. Là réside une des raisons qui tendent à enfermer les elfes et les nains dans leur propre clan, qu’ils l’admettent ou non : ils se protègent d’un futur déchirement.

— Tu te dis pas qu’c’est pour ça qu’on ferait mieux chacun de rester avec les nôtres, l’elfe ? conclut Bruenor en jetant un coup d’œil en biais au drow.

Le visage de Drizzt, de compatissant, se fit intrigué. Son ami venait-il de le mettre en garde contre une relation trop profonde avec Catti-Brie ? Voilà qui ne laissait pas de le surprendre, jusqu’à le faire reculer légèrement dans son siège tandis qu’il rendait à Bruenor un regard scrutateur. Fallait-il qu’il ait fini par s’avouer les sentiments que lui inspirait la jeune femme pour que le père de celle-ci veuille les bloquer avec toute la force et l’obstination naines ? Ou bien se pouvait-il que son compagnon ait raison, que le drow ait eu des rêves insensés ?

Il prit un long, très long moment pour se reprendre, mettre en ordre ses idées.

— Peut-être ceux qui fuient la douleur ne connaîtront-ils jamais les joies qui, à terme, peuvent y mener, remarqua-t-il. Il vaut mieux…

— … Quoi ? l’interrompit Bruenor. Tomber amoureux de l’un d’eux ? L’épouser, p’t’être, l’elfe ? (L’elfe en question ne voyait toujours pas où le nain voulait en venir. Était-il en train de lui dire de reculer, le traitait-il de fou pour seulement envisager d’aimer Catti-Brie ? Mais alors Bruenor leva la main.) C’est ça, ajouta-t-il dans un reniflement qui les raillait tous deux, tombe donc amoureux, ou même choisis un p’tit courte-vie pour l’élever comme ton enfant. Hé, prends-en deux tant qu’à faire ! (Il regarda son compagnon, sourit à pleines dents derrière ses moustaches rouges luisantes de bière, leva sa chope en un dernier toast.) À nous deux, l’elfe ! s’écria-t-il. À deux crétins qui s’amusent bien !

Drizzt fut ravi de répondre en choquant son verre contre celui de Bruenor. Non, celui-ci n’avait pas essayé, avec une subtilité toute naine, de lui faire refouler ses sentiments, mais il avait voulu s’assurer que son ami comprenait bien la profondeur d’un tel engagement !

Ils continuèrent à boire. Bruenor vidait chope sur chope, Drizzt préférait savourer tranquillement son verre de bon vin.

De longs instants passèrent avant que le nain reprenne la parole, d’un ton des plus sérieux qui rendait sa réplique d’autant plus drôle :

— Hé, l’elfe, mon prochain p’tit-enfant, il sera pas rayé au moins ?

— Tant qu’il n’a pas une barbe rouge…, répliqua le drow du tac au tac.

 

* * *

 

— J’ai entendu dire que tu suivais un grand barbare du nom de Wulfgar, dit Bellany à Morik quand le Rogue finit, longtemps après l’aube, par se réveiller.

— Wulfgar ? répéta le voleur, frottant ses yeux marron tout ensommeillés et passant les doigts dans ses cheveux noirs emmêlés. Je ne l’ai pas vu depuis des mois. (Il ne remarqua pas le regard scrutateur de Bellany sur lui.) Il est allé vers le sud retrouver Deudermont, je crois. (L’homme jeta un coup d’œil intrigué à sa partenaire.) Quoi, je ne te suffis pas ?

La femme grimaça et évita soigneusement de répondre.

— Je te demande pour une amie, précisa-t-elle.

Morik eut un sourire d’une parfaite vulgarité.

— Deux, maintenant ? Je serai à la hauteur, non ?

Bellany poussa un grand soupir, roula vers le côté du lit en rassemblant le drap autour d’elle. Elle se leva ainsi couverte.

C’est alors que Morik nota l’étrange marque qu’elle avait sur le dos, à l’épaule.

— Donc, tu n’as pas parlé avec Wulfgar depuis des mois ? insista la femme en allant prendre ses vêtements.

— Pourquoi me poses-tu cette question ?

Au ton suspicieux de Morik, la sorcière se tourna vers lui. Allongé sur le côté, il s’appuyait sur un coude.

— Une amie à moi veut en savoir davantage sur lui, répondit Bellany d’un ton assez sec.

— On dirait que beaucoup de gens s’intéressent à lui tout d’un coup…

Le Rogue se replaça sur le dos, se couvrit les yeux d’un bras replié.

— Des gens comme un elfe noir ?

Morik, de sous son bras, jeta un regard rapide à la sorcière. Son expression le trahissait.

Il vit alors Bellany prendre sous ses robes posées sur une chaise une fine baguette noire. Quelle surprise ! La femme ne pointa pas l’instrument sur lui, mais la menace n’en était pas moins claire.

— Allons, habille-toi sans traîner ! ordonna-t-elle. Ma patronne voudra te parler.

— Ta patronne ?

— Je n’ai pas le temps de t’expliquer pour l’instant. Nous avons une longue route à faire. D’accord, je connais des sorts qui nous permettront d’accélérer l’allure, mais j’aime autant que nous quittions Luskan dans l’heure.

Morik ricana.

— Aller où ? protesta-t-il. Je n’ai aucune intention de partir…

Sa voix s’éteignit quand Bellany s’approcha du lit, leva un genou pour le poser sur le bord dans une pose provocante, enfin approcha son visage du sien et posa un doigt sur la grimace boudeuse de petite fille qu’arboraient ses lèvres.

— Cela peut se passer de deux manières, Morik, expliqua-t-elle d’une voix posée, bien trop posée pour le malheureux pris au dépourvu. L’une te sera très agréable, je te le garantis, et assurera ton retour sain et sauf à Luskan où tes amis, j’en suis certaine, ne manqueront pas de commenter la constance de ton sourire éclatant.

L’homme regarda quelques instants cette femme aux manières irrésistibles.

— Inutile de me parler de l’autre manière, conclut-il.

 

* * *

 

— Arumn Gardpeck l’a pas vu, rapporta Catti-Brie, ni aucun des habitués du Coutelas. Ils voient Morik le Rogue presque tous les jours.

Drizzt réfléchit. Il se pouvait, bien sûr, que l’absence de l’homme (on ne l’avait trouvé ni chez lui, ni en aucun des lieux qu’il fréquentait d’ordinaire) ne constitue qu’une coïncidence. Un voleur comme lui était constamment en mouvement, d’une affaire douteuse à une autre.

Oui, mais plus d’une journée avait passé depuis que les quatre amis s’étaient mis en quête du Rogue en faisant appel à toutes leurs ressources – y compris la garde de Luskan –, et ils n’avaient aucun signe de lui ! Après les événements qui avaient eu lieu à Eauprofonde, provoqués par la bande de Sheila Kree, vu l’association bien connue entre Morik et Wulfgar, cette disparition ne plaisait pas du tout au drow.

— Tu es allé à la Tour des Arcanes ? demanda-t-il à Régis.

— Tous des voleurs, ces sorciers ! Mais enfin, oui, ils ont accepté de passer le mot à celui de l’Esprit follet de la mer, Robillard, dès qu’ils l’auront localisé. J’ai dû leur offrir plus de la moitié d’un sac d’or pour les convaincre !

— Je t’avais donné un sac tout entier, fit remarquer Bruenor.

— Même avec mon pendentif de rubis, il m’a fallu leur donner en paiement plus de la moitié d’un sac d’or…

Bruenor baissa la tête, la secoua.

— Tu as donc un peu moins de la moitié d’un sac d’or à garder pour moi, Ventre-à-Pattes, prit-il soin de préciser devant témoins.

— Les sorciers savent-ils quelque chose sur l’Esprit follet de la mer ? demanda Catti-Brie. Le vaisseau vogue toujours ?

— Ils ont dit que rien ne semblait indiquer le contraire. Ils ne manquent pas de contacts sur le quai, y compris des hors-la-loi. Si le navire de Deudermont venait à couler au large de Luskan, les cris de joie des pirates ne seraient pas discrets !

Les nouvelles restaient vraiment vagues, mais les trois autres décidèrent d’y puiser de l’espoir.

— … Ce qui nous ramène à Morik, reprit Drizzt. Si Kree a décidé de frapper la première pour se débarrasser de Deudermont et de Wulfgar, il est possible que le Rogue soit lui aussi en danger.

— À moins qu’il soit complice de Sheila Kree, supposa Régis. Son informateur, par exemple.

Le drow secouait la tête avant que le halfelin ait terminé sa phrase. Sa brève rencontre avec l’homme ne lui avait pas donné à penser qu’il commettrait ce genre de forfait… même si, il fallait le reconnaître, il semblait assez disposé à se vendre au plus offrant !

— Que savons-nous de Sheila Kree ? fit Drizzt.

— On sait qu’elle est pas dans l’coin ! répliqua Bruenor avec impatience. On sait aussi que, avec ça, on perd notre temps ici !

— C’est vrai, appuya Catti-Brie.

— Mais l’hiver est déjà installé au Nord, objecta Régis. Peut-être devrions-nous commencer par chercher au Sud.

— Tout indique que le pirate a un mouillage dans le Nord, remarqua Drizzt. Les rumeurs que nous ont rapportées Morik et Josi Petitemares s’accordent là-dessus.

— Y en a de la côte, entre ici et la mer des Glaces flottantes, plaça Bruenor.

— Alors nous devrions attendre ? suggéra sans hésiter Régis.

— Alors on devrait s’bouger ! retourna le nain avec la même vivacité.

Drizzt comme Catti-Brie étaient d’accord avec lui. Les quatre amis quittèrent Luskan un peu plus tard dans la journée, quelques heures seulement après Morik et Bellany. Mais le Rogue et la sorcière, grâce aux sorts magiques, et suivant, eux, un trajet connu, eurent très vite beaucoup d’avance.

La Mer des Épées
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